vendredi 20 novembre 2015

Créativité et scolarité

Bonjour,

Lundi, je vous parlais des classes prépas et des raisons de s'interroger sur la pertinence d'y entrer : Les classes prépas, c'est pas l'idéal.

Je voudrais revenir sur le thème de la créativité.

Depuis plusieurs années, je travaille à partir des ouvrages de Béatrice Millêtre sur la thématique des enfants et des adultes doués. Ce que j'ai pu comprendre, c'est qu'un certain nombres des maux que je décris dans mes articles de blog font réagir étudiants et parents parce qu'ils reconnaissent ce qu'ils sont en train de vivre.

Pour un étudiant "doué" au sens de Béatrice Millêtre, l'apprentissage passe par une approche globale, intuitive, qui nécessite du temps pour "souffler", pour remettre en ordre ses idées et pour se sentir bien, aussi.

A l'inverse, les classes prépas privilégient un mode d'apprentissage quantitatif. Un étudiant qui est capable de faire 4 heures de maths, puis 4h de physique avant de reprendre les maths peut se trouver très avantagé dans ses apprentissage par rapport à un étudiant qui aurait tendance à travailler par tranches de 45 min et aurait besoin de changer de sujet, de faire des pauses, d'aller faire du sport ou de prendre sa guitare.

Quand les parents parlent de leur enfant en terminale : "il avait des facilités, il ne travaillait pas beaucoup". Quand je creuse un peu la question, la situation est régulièrement la même : l'étudiant était particulièrement attentif en classe. Autrement dit, "il ne travaillait pas beaucoup" - en dehors des 35 heures de cours qu'il avait déjà !

De plus, pour être efficace et réussir, il avait besoin de beaucoup de temps le soir pour faire autre chose : des activités différentes ou tout simplement "rien".

Dans les ouvrages de Béatrice Millêtre ou les formations de Dan Low (World Education) "ne rien faire" est très important pour la créativité. Aller se balader, discuter avec un ami, lire... sont des activités qui permettent au cerveau de réorganiser les informations accumulées pour en faire des raisonnements nouveaux.

Vous l'aurez peut-être constaté : quand vous reprenez le sujet d'un devoir de maths après quelques heures pour essayer de voir si vous avez plutôt réussi votre épreuve du matin, vous en arrivez à vous demander "mais comment est-ce que je n'ai pas réussi à faire cet exercice ce matin ?"

Deux explications possibles : la première sur laquelle je travaille bien souvent : votre niveau de stress en DS est tel qu'il vous fait perdre vos moyens. C'est un axe de travail classique pour permettre à des élèves qui travaillent beaucoup mais dont les résultats ne suivent pas de retrouver le chemin de la réussite en prépas.

La proposition d'explication issue de la pensée de Béatrice Millêtre, c'est que c'est exactement la démarche qu'il faut suivre pour résoudre un problème difficile. Il faut commencer par travailler sur le sujet autant que possible. Quand ça bloque complètement et après avoir tenté plusieurs approches, fait des liens avec le cours, relu le cours correspondant si nécessaire, il est temps de "faire une pause".

En prépas, vous n'avez pas beaucoup de temps, vous pouvez choisir de faire une autre matière. Différente. Peut-être du français ou de l'anglais. Sinon, c'est l'occasion de faire une vraie pause sans culpabilité : aller marcher, aller courir ou faire un autre sport. Aller prendre son repas. Discuter avec des amis ou ses parents. Après avoir "laissé reposer", vous vous remettez sur le sujet du problème et de nouvelles idées ou approches viennent à vous.

...

Ce que je reproche aux classes prépas, c'est qu'il est difficile de pouvoir travailler selon la méthode que je viens de proposer quand le temps est tellement limité. Les journées de cours sont construites dans une accumulation qui vient saturer tout le processus de compréhension et la créativité pour résoudre les problèmes.

Seuls quelques uns réussissent à ne pas se laisser "saturer" par les connaissances à accumuler. L'étudiant auquel je pense - J - j'imagine qu'il avait un fonctionnement plutôt en "linéaire". Il était vraiment capable de ne faire qu'une seule chose pendant des heures. Il était brillant dans sa manière de travailler mais il faut reconnaître qu'il était aussi capable de ne s'intéresser qu'aux 5 matières proposées en prépas et à rien d'autre. Ce qui me laisse un peu perplexe...

Un autre exemple dans mes camarades de lycée qui nous avaient rejoints en prépa - D - est lui l'exemple typique de l'étudiant doué qui connait son mode de fonctionnement. Comme souvent dans ces cas-là, il avait un an d'avance et fonctionnait "pas comme les autres". C'est bien plus tard, avec les lectures que je mentionne en début d'article, que j'ai pu comprendre les choix qu'il avait fait.

D semblait passer son temps à jouer au basket. Pour un élève de prépa, c'était très étonnant. Il jouait à la pause de 10h. Il jouait entre midi et deux. Il jouait longuement le soir. Quand il a fallu choisir la deuxième année, il ne voulait pas faire de classe "étoile". Il savait qu'il devait préserver avant tout un rythme de travail qui lui convenait. Il a intégré l'ENSIMAG en 3/2.

J, lui, a été admis à Normale Sup en 3/2. Il a préféré faire 5/2 et entrer à Polytechnique.
Une autre anecdocte à son sujet pour vous montrer son niveau : En sup, le prof de maths se servait habituellement de la copie du premier pour fixer le "20" et noter les autres en fonction. Toute la durée de notre année de sup', il a dû faire autrement pour ne pas "écraser" toute les notes de la classe... la note de notre "génie" était de 35 ou 37/20 et le suivant avait entre 12 et 17/20...

Moi, je j'aurais sûrement mieux fonctionné en faisant comme D. Mais je n'avais personne pour me l'expliquer. Tout le système et le prof de maths en particulier, me disait : "Travaille plus". Travailler plus, quand on est déjà saturé, c'est la garantie d'arriver à l'essoufflement. Puis au découragement.

Comme je n'arrivais pas à travailler "tout le temps", je prenais des pauses qui se révélaient salutaires : discussions avec les élèves d’hypokhâgnes, soirées cinéma ou théâtre, lectures. Malheureusement, je vivais ces pauses indispensables pour moi avec une grande culpabilité. Je me reprochais tout le temps "perdu".

Ce qui est sûr, c'est que les classes prépas valorisent très clairement un mode de fonctionnement personnel qui permet de ne faire "que travailler" toute la journée. Il manque trop souvent le temps nécessaire au bon fonctionnement des élèves doués, intuitifs, créatifs...

J'aimerais penser que le concours qui a lieu plus tard laisse la chance à l'étudiant intuitif d'avoir laissé murir un grand nombre des sujets qu'il a appris. Malheureusement, les étudiants travaillent le plus possible jusqu'aux épreuves écrites et ils n'ont donc vraiment pas beaucoup de temps pour ce travail de maturation qui leur est nécessaire pour une meilleure compréhension.

Entre-temps, un certain nombre d'entre-eux se sentent en difficulté. Ils ne comprennent pas "ce qui ne marche plus". Ils essaient de travailler autrement que ce qui a toujours marché pour eux. Ils limitent les heures de sommeil pour essayer de compenser. Ils essaient de travailler encore plus... et ça marche encore moins.

Pour terminer sur une note plus globale, pour ceux qui peuvent suivre en anglais, je vous invite à regarder la conférence TED de Ken Robinson : Do schools kill creativity? Ce que je décris sur les classes prépas, certains le vivent dès l'école...

Bon courage !

Gabriel Brabant
 
Update :

Le lien direct de la vidéo avec les sous-titres en français (sinon, vous pouvez les ajouter dans 59 langues)... à titre d'info sur le succès de cette conférence, elle a été visionnée 36 millions de fois...






lundi 16 novembre 2015

Les classes prépas, c'est pas l'idéal

Bonjour,

Si vous en êtes au stade du choix, pour l'année prochaine, de faire une classe prépa, il est peut-être temps d'ouvrir les yeux.

En effet, ayant fait les classes prépas en 1997 - 2000, j'avais déjà pu observer que les classes prépas ne rendaient pas heureux. Elles ne rendaient pas heureux, elles ne donnaient pas le goût d'apprendre, elles n'aidaient pas à l'épanouissement.

En plus, en arrivant en école d'ingénieur, j'avais pu constater qu'elles étaient également fondées sur une promesse mensongère du type "c'est super, après".

Après 7 ans à accompagner les classes prépas en rendez-vous de coaching en Ile de France et au téléphone dans toute la France, j'ai pu constater que les élèves continuent de souffrir en prépa. Et qu'ils n'en sont pas les seuls responsables comme on peut le lire parfois : ils seraient "les faibles" qui n'ont rien à faire en prépa et ils n'ont qu'à s'accrocher pour prouver le contraire.

Aujourd'hui, deux chemins de pensée permettent de s'interroger sur la pertinence des classes prépas. Oui, je dis bien "s'interroger". En effet, ce que j'ai pu comprendre depuis quelques semaines sur ma difficulté à donner des réponses, c'est que je préfère - et de très loin - les questions.

1. Les classes prépas, c'est pas indispensable.

La première idée que je souhaite partager avec vous, c'est qu'il n'est plus indispensable de faire les classes prépas pour faire les grandes écoles que l'on souhaite.

Les grandes écoles ouvrent leurs portes aux universitaires, aux BTS, etc. C'était déjà le cas en 2000 à Télécom Bretagne où la promo de 140 élèves de prépa s'enrichissait l'année suivante de 80 "AST" ou Admis sur Titre (autrement dit, après une maîtrise - maintenant cela s'appelle un Master 1). Ensuite, il y a eu les "FIP" Formation d'Ingénieur en Partenariat pour les alternants. Puis on pouvait ajouter les Espagnols, les Chinois, les Marocains, etc. de tous les partenariats internationaux de l'école !

Les journaux titrent régulièrement sur ces sujets. Au lieu d'y voir un "prépa bashing" comme le mentionne un commentaire sur le site du Monde, on peut y relever une évolution claire des 20 dernières années et en tirer les conclusions dès aujourd'hui sur les opportunités variées qui s'offrent à nous et à nos enfants.





2. Les classes prépas ne développent pas la créativité

Albert Jacquart en parlait déjà en 2001 quand il est venu animer une conférence à Télécom Bretagne. Il comparait alors le nombre de prix Nobel issus de Polytechnique à Paris et des Ecoles  Polytechniques de Lausanne (EPFL) et Zurich (ETH).

Aujourd'hui, je suis passionné par les travaux de Céline Alvarez et l'expérience qu'elle a menée dans une classe à Gennevilliers : https://lamaternelledesenfants.wordpress.com/lequipe/

J'ai également été interpellé par les qualités des enfants dont les parents choisissent de ne pas les mettre à l'école dans le documentaire Etre et Devenir de Clara BELLAR qu'il est possible de trouver en DVD, d'aller voir au Saint André des Arts chaque dimanche matin ou de vérifier les projections en France et à l'étranger sur cette page



A partir de ces deux constats, 

1 - que les classes prépas ne sont pas indispensables pour faire les plus grandes et prestigieuses écoles
2 - que les classes prépas ne vous assurent pas : ni de vous faire plaisir, ni de nourrir votre goût pour les maths ou le latin, ni votre épanouissement personnel

et à partir de mon expérience d'avoir plutôt : 
- souffert sans être entendu
- détesté les maths quand il a fallu en faire jusqu'à 4 à 6 heures par jour tous les jours
- détesté être en compétition permanente avec des gens pas tellement plus doués que moi mais parfois beaucoup plus "bornés" et en tout cas capables de faire "une seule chose", toute la journée, tous les jours, sans s'intéresser à rien d'autre (ce qu'Albert Jacquart appelle unidimensionnel)
- été infiniment déçu de l'école d'ingénieur qui m'avait tellement été présentée comme un "Eldorado" merveilleux

et à partir de mon expérience de coach et auteur de ce blog: 
- d'être lu par 800 élèves chaque mois sur les thèmes de la confiance en soi, de la motivation, des difficultés rencontrées en prépas
- d'entendre le désarroi des parents devant la souffrance ou les difficultés de leurs enfants qui étaient de brillants élèves quelques mois plus tôt
- le nombre d'élèves qui s'arrêtent parce que "ce n'est pas fait pour eux" et surtout parce que personne dans la classe ou l'établissement n'est là pour prendre en compte leur spécificité, leurs besoins. 
- ceux qui souffrent simplement de ne plus pouvoir "aller au bout des choses", comprendre, "avoir une vision d'ensemble du sujet", prendre le temps de travailler. 

Je trouve qu'aujourd'hui, la question des classes prépas se pose, plus que jamais.

La question qu'on peut se poser parfois : Et si c'était à refaire ? Le plus souvent, on répond "je le referais". Ne serait-ce que parce que c'est ce qui nous constitue, c'est ce qui nous a construit. Comment pourrais-je aujourd'hui aider les élèves des classes prépas, si je ne les avais pas vécues ?

En fait, lors du stage de parentalité bienveillante fait cet été, j'ai découvert que cet argument sert parfois aux défenseurs de la fessée. "J'en ai reçu quand j'étais petit et je n'en suis pas mort" ou "J'en ai reçu quand j'étais petit et ça ne m'a pas empêché de réussir". 

Ca a été pour moi comme un nouvel éclairage. "Ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort" ne tient pas. Les enfants qui sont les plus à même de supporter les difficultés ne sont pas ceux qui en ont subies très jeunes, mais ceux qui ont eu tout l'amour dont ils sont besoin.

Autrement dit,  je ne conseillerai pas les classes prépas à ceux qui peuvent trouver une voie d'études qui leur permet d'accéder au métier qu'ils souhaitent sans passer par les classes prépas. Comme nous le disions avec mon binôme de première année lors de notre déjeuner tout à l'heure, les alternatives, aujourd'hui, ne sont pas très heureuses. 

Il nous reste à les construire. Céline Alvarez a commencé pour les tout-petits. Poursuivons, pour les autres.   

Gabriel Brabant
Ancien élève de prépas, mais aujourd'hui aussi père de 3 enfants qui se demande quelle scolarité éducation proposer à ses enfants !