Bonjour,
Les classes prépas font beaucoup plus "mal" que ce qu'on veut nous laisser croire.
"Choura" nous propose des interviews d'étudiants des classes prépas qui témoignent de ce qu'ils y ont vécu.
Quand elle prend contact avec moi, je suis tout à fait intéressé par sa démarche.
En créant ce blog en 2008, j'espérais peut-être que les choses évoluent et que les difficultés ou la souffrance de certains étudiants soient prises en compte.
Dans le mail qui suit notre échange, où je l'invite à m'indiquer les sujets qu'elle pourrait vouloir aborder dans notre interview, deux éléments m'interpellent en particulier
- Le "Coach", c'est celui qui profite de la souffrance des étudiants.
- Mon blog donne l'impression que j'accompagne les étudiants à poursuivre les classes prépas "à tout prix".
1. Sur le premier sujet, je me rends compte qu'elle a raison : Depuis 15 ans, ce que j'aurais dû créer, c'est une association de soutien pour les élèves de prépa en difficulté.
C'était la baseline de mon blog, le sous-titre : "Accompagnement des élèves des classes prépas pour surmonter les difficultés qu'ils rencontrent", mais ce n'est plus le cas.
Cette "association" aurait de nombreuses vertus, la première étant de pouvoir collecter des dons et des soutiens financiers très larges, sans faire peser le coût de l'accompagnement aux étudiants et à leur famille.
En miroir, ça me permettrait de pouvoir arrêter de tenter de "gagner ma vie" à partir d'un certain nombre de séances de coaching, proposées à un certain prix.
Parce que mon activité n'est pas "rentable". Ni même profitable.
Si j'étais vraiment dans une démarche entrepreneuriale "raisonnable", j'aurais fermé depuis longtemps.
En effet, mon chiffre d'affaires a décollé l'année dernière, pour passer de 10 000 euros/an à 17 702 euros en 2022.
A comparer à mon premier salaire de 33 000 euros brut annuel en 2004... jusqu'à 45 000 euros comme Chef de projet formation en 2014.
Aujourd'hui, il est donc grand temps que je cesse mon activité de "Coach en classes prépas" pour revenir à un métier qui permette de financer les besoins de notre famille de 4 enfants.
Ou que j'en revoie pleinement les modalités opérationnelles : association de soutien et collecte de dons et de financements, coachings de groupe, formation vidéo en ligne. De nombreuses options s'offrent à moi.
Pour une activité rentable, mon ami Alain Ordronneau m'avait informé dès mon démarrage : ce sont des cours de maths qu'il faut proposer, pour pouvoir en faire 2h par semaine, pendant des années entières, pour chaque élève.
Mes séances, à moi, durent rarement au-delà de 3 mois. La plupart du temps, 3 séances suffisent pour résoudre les situations rencontrées. C'est d'ailleurs, tout l'attrait que j'avais pour l'image que je me fais du métier de "coach biodégradable". Rapidement, je m'efface et à aucun moment je ne crée une dépendance.
2. En ce qui concerne le deuxième point, j'ai deux réponses.
La première c'est que les étudiants qui souhaitent arrêter n'ont pas besoin de moi : ils arrêtent et puis c'est tout. En tout cas, c'est la réponse derrière laquelle j'ai pu me cacher.
La réalité est tout autre : il arrive souvent que la démarche de coaching consiste à clarifier les enjeux et permette d'arrêter.
Il m'a semblé les dernières semaines que de nombreux étudiants qui feraient mieux d'arrêter trouvaient plein de raisons de continuer, comme j'ai pu le faire quand j'étais dans cette situation.
C'est là où la démarche de "Choura" m'intéresse : effectivement, il semble que les classes prépas mettent en place un "embrigadement" et empêchent ensuite aux étudiants de prendre les décisions rationnelles qui s'imposent dans ce qu'ils vivent.
- toutes les issues possibles sont "nulles" : la fac c'est nul, tout est nul. Seules les classes prépas et les grandes écoles sont la "voie royale".
- quitter les classes prépas, c'est "rater sa vie".
- "l'échec est inacceptable"
- "quand on échoue les classes prépas, c'est qu'on est nul, qu'on est "faible"".
Aujourd'hui, je dirais qu'il est plutôt sain :
- de ne pas vouloir faire les classes prépas.
- de quitter les classes prépas dès la première semaine quand on découvre comment ça se passe.
- de quitter les classes prépas quand on se rend compte que ce système ne permet pas :
- d'étudier correctement les matières qu'on voulait étudier : parce qu'il faut aller trop vite, le plus vite possible, dans un but exclusif de classement et de sélection
- de révéler ses qualités et ses talents
- de garder son équilibre pour étudier correctement
Et tous les autres peuvent continuer !
- Ceux qui s'y sentent bien,
- ceux qui adorent la compétition,
- ceux que les critiques des profs ne touchent pas
- ceux qui s'en foutent des maths pourvu que ça leur donne accès à une grande école qui leur donnera le statut d'élite sociale de la nation
L'analyse fine de Choura qui m'a également interpellé, c'est qu'elle partage que même ceux qui semblent être en situation de réussite souffrent ou ont souffert de ce qu'ils ont vécu en prépas.
De ce point de vue, je peux confirmer que quand je parle du métier que j'ai choisi, j'ai de nombreux témoignages en ce sens : "Ah, c'est intéressant, moi aussi j'ai fait les classes prépas et j'en ai souffert" ou en indirect : "Ma soeur - ma cousine, mon cousin, etc - a fait les classes prépas et pendant cette période, on ne la reconnaissait plus"...
Une page souvent tournée le plus vite possible "pour ne plus avoir à y penser".
Enfin, il est vrai que pendant des années, mes articles "critiques" sur les classes prépas, je les repassaient ensuite en "brouillon" pour rester dans une démarche marketing dont on me vante les mérites commerciaux : tout doit toujours être positif.
Par exemple, une amie coach me disait : "Les étudiants n'ont pas de difficultés : ils ont des défis à relever."
Je ne suis pas d'accord.
Pour moi, les classes prépas peuvent être la source d'une souffrance infinie, qui nécessite de pouvoir être prise en compte, interrogée. Les étudiants ont besoin d'un interlocuteur qui ait conscience des enjeux et qui ait réfléchis aux solutions possibles.
Ce n'est pas ce que j'ai rencontré quand j'ai parlé ensuite de ma détresse à une étudiante en thèse de psychologie sur le campus de Télécom Bretagne : "vous avez tout pour être heureux : vous êtes jeune, en bonne santé, vous faites de bonnes études..."
Sous-entendu : de quoi pouvez-vous souffrir ? De quoi pouvez-vous vous plaindre ?
Et c'était de la part de l'étudiante en psychologie.
Comme j'en ai souvent témoigné, en prépa, c'était du même ordre :
Le prof : "il faut travailler plus".
Comme si la quantité de travail était la réponse à tous les enjeux rencontrés: manque de sommeil, rythme de travail, doutes, remise en cause de la qualité de son travail par des notes qui passent dans l'été de 18/20 à 9,5/20 mais parfois aussi à 4,5/20...
Les parents, les proches : "Ca va aller mon chéri", "il faut t'accrocher", "c'est un mauvais moment à passer".
Aujourd'hui, j'ajouterais ce que j'évoquais en début d'article
Le "système classes prépas" :
- Aucune alternative n'est possible : la fac, c'est nul. Arrêter c'est échouer. Echouer c'est inacceptable. Tu ne peux pas faire ça à tes parents, tu ne peux pas faire ça à toi-même : tu t'en voudras toute ta vie d'avoir arrêté, d'avoir échoué.
- Les grandes écoles, ce sera le bonheur, tu verras, le sacrifice en vaut la peine : tu seras le roi du monde, la vie en école c'est génial : clubs, sports, sorties, soirées à temps plein.
- Ta carrière sera garantie par ces 2 ans de travail acharné. "Ton diplôme de l'X te garantit que pendant 40 ans tu seras au-dessus des autres."
Ce dernier point est défendu avec acharnement par les détenteurs du précieux sésame.
Pourtant dès la 2e année d'école, on peut se questionner : Comment, les "admis sur titre" entrent dans la même école que moi en étant passé par la fac ? Mais ce n'est pas possible ?
Alors les anciens "prépas" feront une distinction entre les "vrais" et les "faux".
De même que les écoles de commerce qui proposent des diplômes à leur nom de tout formats finissent par être obligées de préciser "Programme Grande Ecole" pour ceux qui font le cursus complet...
Je terminerai cet article en vous partageant mon sentiment que tout cela est très intéressant et nécessite d'être analysé, compris, critiqué s'il le faut. Je trouve ce sujet un peu plus passionnant chaque jour par l'impact qu'il a sur nos sociétés et sur nos vies. De nombreux acteurs se mettent à en interroger les principes, comme François Begaudeau, à l'école des Ponts il y a quelques semaines :
François Begaudeau, la méritocratie, un mythe ? Conférence du 6 février 2023
A mes yeux, toutes les questions restent ouvertes.
Une chose est sûre, les étudiants, comme leurs familles, peuvent avoir besoin d'aide et de soutien.
Je suis preneur de votre aide, à vous aussi, pour les soutenir et trouver des formules pérennes et efficaces pour cela.
Bon courage pour ceux qui attendent les réponses de Parcours Sup, les résultats d'admissibilités puis le passage des oraux.
A bientôt
Gabriel