lundi 13 septembre 2021

En quoi est-ce difficile de ne plus être le premier ?


Bonjour, 

 

Pour faire suite à mon article d'hier sur Les difficultés en classes prépas j'ai eu envie de développer. 

 

Finalement, la question se pose : En quoi est-ce difficile de ne plus être le premier ?

 

On pourrait se dire que quand on démarre les classes préparatoires aux grandes écoles, que ce soit maths sup, prépa HEC, une hypokhâgne, BCPST pour préparer l'agro ou véto, ou toute autre prépa, comme la première année de médecine, on est prévenu :

 

Ça va être dur. 
Il va falloir travailler. Beaucoup. Tout le temps. 
Les concours ne feront pas de cadeaux. 
Seuls les meilleurs vont y arriver. 

 

On est prévenu mais on fait les classes prépas pour réussir, comme on a tout réussi jusque-là. 

L'école primaire comme premier de la classe. Le collège avec 19,5/20 en maths et 40/40 au brevet. La première S sur la même lignée pour certains, avec plus d'efforts pour d'autres, mais toujours dans une dynamique d'être dans la meilleure classe du lycée, parmi les premiers ou en progressant rapidement dès qu'on travaille ce qui est nécessaire. 

La fameuse classe d'allemand première langue au collège, celle de latin au lycée. 

 
Alors quand on démarre les classes prépas, c'est pour continuer d'être le premier. C'est pour faire Centrale Paris ou Polytechnique, éventuellement l'ENS si on a une vocation pour enseigner. 
 
Je ne connais personne qui démarre les classes prépas pour faire une petite école inconnue dans une ville où il n'est jamais allé. 
 
Même mon école préférée aujourd'hui, l'ESTIA à Bidart, posée à quelques km des plages de surf, ça ne m'aurait pas semblé sérieux. 
 
 
Des mauvaises notes, c'est cesser tout à coup d'être "validé" par l'extérieur. 
 
C'est cesser de savoir que l'on fait ce qu'il faut parce que la note, le résultat, l'appréciation le dit, le rappelle : "Très bien", "Très satisfaisant", "Excellent". 
 
4,5/20 "A revoir"
 
Ça ne dit pas  : tu as bien travaillé, continue comme ça, ça vaut la peine, tu vas y arriver. 
 
4,5/20 quand "bien" ça commençait à 14/20 pour les autres et à 16/20 pour soi... c'est difficile à avaler. 
 
Être en dessous de la moyenne, c'était interdit. 
Être en dessous de la moyenne de la classe ! 
 
Ça veut dire que je suis moins bon que les autres ?
Ça veut dire que je ne travaille pas assez - alors que je ne fais que ça ?
Ça veut dire que je ne suis pas assez intelligent ? que je ne suis pas fait pour les classes prépas ? que je n'ai pas ma place ici ?            
 
Un échange avec le prof de maths : "Il faut travailler plus". 
 
Il faut travailler plus ? 
 
Mais je travaille tout le temps, autant que je peux. J'ai arrêté toutes mes activités. Je viens au lycée, je travaille. A la pause, je travaille. Je rentre chez moi je travaille. Je me couche, je dors et je recommence.  
J'ai tout appris, cherché et trouvé tous les exercices, appris toutes les démonstrations et j'ai 9,5 ?
 
 
La perte de sens
 
A quoi ça sert alors ?
De toutes façons, à quoi ça sert de faire des maths toute la journée ? 
Je ne vais quand même pas continuer à y passer tous mes dimanches et mes vacances ?
 
 
Le manque de sommeil
 
Pour d'autres, travailler plus ça veut dire dormir moins. 
 
Dans un premier temps, ça peut marcher. On arrive à apprendre plus de cours, à chercher plus d'exos.     

Dans un deuxième temps, ça peut être le début d'un cercle vicieux: fatigué, j'ai du mal à me lever. Arrivé tant bien que mal en cours, j'ai du mal à suivre, je suis moins attentif. Il me faudra plus de temps pour apprendre le cours, pour le retenir. Je n'aurais pas eu l'énergie de chercher les exercices proposés par le prof, je participe moins. Je laisse filer ce que je ne comprends pas au lieu de poser une question.

 Le soir, je n'arrive plus à m'y mettre, je ferai peut-être une petite sieste avant de travailler, quitte à me coucher encore plus tard.

Le mémoire à long terme est affectée par le manque de sommeil. 

On va gérer : réussir les colles apprises la veille, les DS révisés jusqu'à "pas d'heure". Mais que restera t'il de tout cela 12 mois plus tard au concours ? Encore un peu plus tard aux oraux ?

 

Cercle vicieux

Le cercle vicieux de la fatigue fonctionne aussi avec la perte de sens et donc de motivation. 
 
On n'arrive plus à s'y mettre en rentrant. Ensuite on se reproche de n'avoir pas travaillé. On se demande si ça vaut bien la peine de continuer.
 
J'ai ainsi accompagné un élève du lycée Pothier à Orléans (c'était aussi mon lycée pour la sup et la spé 3/2) qui s'est dit pendant presque toutes les vacances, 
"c'est peine perdue, j'aurais dû commencer hier" 

Comme on s'est rencontré pour un coaching le lundi des vacances, j'ai essayé de le rassurer :  "Si vous avez simplement fait la pause du week-end, ça va bien se passer, je vous propose de faire un planning."

"oui, mais j'aurais dû commencer hier"

Une semaine plus tard, il n'avait pas démarré et pouvait renforcer sa culpabilité et son découragement : 

"j'ai perdu une semaine, je ne rattraperai jamais..."

 

L'ambition, les projets

Alors oui, c'est difficile d'avoir des mauvaises notes, de ne plus être le premier.

 

"Si je ne suis pas parmi les premières, je n'aurais pas la classe étoile ? Si je n'ai pas la classe étoile, j'ai peu de chances d'intégrer Supaéro, est-ce que ça vaut le coup que je continue ?"

C'est la question d'une étudiante de Saint Louis, en maths sup PCSI il y a quelques années. 

Quelques semaines après la rentrée, avec l'arrivée des premières notes.

 

La question mérité d'être posée. 

Si je ne veux que "Polytechnique" et que j'ai des difficultés en prépa, qu'est-ce que je fais ?

Est-ce que je renonce à mon projet ? 

Est-ce que je renonce à Polytechnique ? 

Est-ce que je renonce aux classes prépas ?

 

Chaque réponse se construit individuellement à partir d'une petite enquête : 

  • pourquoi je voulais faire Polytechnique ou Supaéro ?

Est-ce pour faire un métier dans la technologie, l'ingénierie ?

Est-ce pour le prestige de l'école et de la formation ?

Est-ce pour travailler dans les Grands Corps d'Etat, comme fonctionnaire ?

Est-ce parce que mon grand-père/mon père/mon oncle a fait Polytechnique ?

(Oui, c'est sexiste, c'est malheureusement encore rarement parce que ma grand-mère a fait Polytechnique, et j'ai envie de croire que les mères qui ont fait Polytechnique sont un peu plus subtiles que nous les hommes et autorisent leurs enfants à faire autre chose - je suis féministe.) 

 

 

  • Pourquoi est-ce que j'ai choisi les classes prépas ?

Est-ce parce que mes professeurs m'ont invité à aller en classes prépas parce que j'avais des bonnes notes et que je ne savais pas trop quoi faire ? 

Est-ce pour me laisser "toutes les portes ouvertes" ? comme je l'entends trop souvent (cf. mon coup de gueule à ce sujet de janvier dernier : 

Les classes prépas ne sont pas un moyen de "se garder les portes ouvertes"

Est-ce parce que j'aime les maths, la physique, la chimie / les lettres, la philo, les langues / l'économie, la gestion, les sciences humaines... ?

Est-ce parce que je suis intéressé par un secteur d'activité ou un métier auquel me donnera accès mon école d'ingénieur, de management, véto, agro, l'ens... 


On voit bien que dans certains cas ce sera facile de retrouver sa motivation initiale et de s'accrocher pour traverser la tempête. Dans d'autres cas, il faudra se reconstruire une motivation propre ou aller voir ailleurs. 

J'ai la croyance désormais qu'on ne choisit pas une orientation par hasard, même si on se laisse influencer par l'extérieur. 

Mon driver, ma motivation à moi, c'était "si c'est dur c'est que c'est bien". Disons que c'était mon système de croyances - pardon pour le jargon de coach/psy. On voit que ça répond : 

  • au principe de sélection par les maths de notre système français
  • au principe de (sur-)valorisation de l'effort.

Depuis j'ai largement revu mon système de croyance : 

  • il faut faire ce qu'on aime
  • si c'est "facile" ça a d'autant plus de valeur : "c'est facile pour moi et (peut-être) pas pour les autres" = un talent ?

J'ai tout un travail autour des points forts et des points faibles avec les étudiants que j'accompagne. Heureusement, la plupart ont choisi les classes prépas qui leur conviennent à partir de leurs points forts, mais passent parfois ensuite trop de temps sur les matières où ils ont le plus de mal...

 

Paradoxalement, ces classes préparatoires peuvent nous imposer de sortir : 

  • de la comparaison ou de la compétition quand ça empêche de travailler sereinement
  • de l'approbation de l'autre parce qu'il faut retrouver une motivation interne et personnelle pour continuer à travailler dans l'adversité
  • de la perspective de grandes écoles prestigieuses comme seule raison de travailler puisqu'à un moment il faut accepter de ne pas être sûr de les avoir, dans le principe même des concours !
C'est tout ce qui me vient pour ce matin. N'hésitez pas à me contacter si vous voulez poursuivre la discussion ou vous faire accompagner pour traverser un moment difficile de votre prépa. 
 
Vous pouvez aussi poster vos remarques en commentaire pour alimenter la discussion ici. 
 
Gabriel Brabant
06 33 85 53 27

J'avais aussi pris le temps d'écrire à ce sujet ici : " La perte de valorisation
 
"Passer d'un statut d'élève reconnu pour ses mérites scolaires par les profs, les parents, la famille et la société en général à une situation de difficulté, d'échec, ou simplement de notes basses, puisque c'est la règle en prépa." 

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